La justice est souvent un monde étrange,
avec des règles et des codes qui échappent au commun des mortels (oui, je parle
de vous, justiciable qui n’avez encore jamais eu l’occasion d’être confronté à
des juges). Un bon exemple est celui des ésotériques audiences de mise en en
état devant le Tribunal de Commerce. Comme de longs discours sont moins
efficaces qu’une illustration, voici (sous vos yeux ébahis et pleins d’admiration
… modestie, ça veut-dire quoi ?) la journée type d’un novice qui se
rendrait pour la première fois devant la juridiction consulaire (pour ceux qui
l’ignorent, c’est une autre manière de dire Tribunal de Commerce et puis ça m’évitais
une répétition).
* *
Voilà des semaines que vous attendiez et
voilà, enfin, vous allez assister à votre première audience du Tribunal de
Commerce. Cette fois vous espérez bien que votre fieffé gredin d'entrepreneur
et son assureur vont payer, et ils ont beau dire que ce ne sont pas leurs
travaux qui ont causé la fuite qui a inondée votre boutique, toutes les preuves
sont contre eux !
Voilà 6 mois que l'incident a eu lieu et
toutes vos tentatives de négociations amiables n'ayant pas abouties, vous aviez
décidé de saisir le Tribunal. Comme vous êtes sûr de votre bon droit, vous vous
étiez dit que vous n'alliez pas prendre un avocat, d'autant que ça n'est
pas obligatoire. Vous aviez donc trouvé sur internet un joli modèle
d'assignation et vous aviez demandé à un huissier de la signifier à vos
adversaires !
Depuis, vous avez attendu avec impatience
ce jour et, ce matin, vous vous êtes levé confiant. Après avoir avalé votre
café, vous avez attrapé votre dossier avec tous les documents prouvant que si
vous avez dû fermer la boutique pendant plus de 2 mois c'est uniquement la
faute de ce chauffagiste qui, en refaisant votre installation, a percé la
tuyauterie causant des dégâts considérables, avec des travaux de réparations
faramineux sans compter une perte de chiffre d'affaire qui vous met,
aujourd'hui encore, dans l'embarras.
Pour l'instant, vous n'avez pas aperçu
votre adversaire mais bon, c'est peut être mieux comme ça et puis il est
seulement 9h15 et l’audience ne commence que dans un quart d’heure. Vous vous
dirigez vers la salle d'audience dans laquelle il y a déjà pas mal de monde, et
surtout vous voyez que les premiers rangs sont occupés par les hommes en noir
(non, pas les Men In Black,
mais les avocats drapés dans leurs robes !). Vous avancez un peu dans la salle
et finissez par vous asseoir derrière un avocat à qui vous tentez d'adresser la
parole :
- Excusez-moi, Maître ? Est-ce que vous savez dans quel ordre passent les affaires ?
- Oui, bien sûr ... regardez le rôle !
- Excusez-moi, Maître ? Est-ce que vous savez dans quel ordre passent les affaires ?
- Oui, bien sûr ... regardez le rôle !
Et là, il vous tourne ostensiblement le
dos, en saluant l'un de ses confrères. Vous comprenez qu'il n'est pas utile
d'insister, mais fort heureusement, vous entendez l'un de vos voisins dire
qu'il était en "40ème position sur la liste".
- Pardon, je vous ai entendu parler d'une liste des affaires, est-ce que vous savez où...
- Oui, oui, regardez juste à gauche de l'entrée de la salle, c'est affiché sur des panneaux.
- Pardon, je vous ai entendu parler d'une liste des affaires, est-ce que vous savez où...
- Oui, oui, regardez juste à gauche de l'entrée de la salle, c'est affiché sur des panneaux.
Vous sortez rapidement de la salle et vous
apercevez effectivement 4 grands panneaux de plus d'un mètre de haut sur
lesquels figurent des dizaines de feuilles. Evidemment, les affaires ne sont
pas listées par ordre alphabétique et c'est donc après plus de 5 minutes que vous
découvrez que vous êtes la 132ème affaire avec le numéro 2015033422.
Vous sentez déjà que ça va être long, mais
bon, depuis le temps que vous attendez que votre affaire soit jugée.
Avec leurs robes noires, ils se ressemblent tous au Tribunal de commerce ! |
« 2014012543 ... Société Cominex contre l’URSSAF»
Deux avocats s’approchent des juges :
- Monsieur le Président, je dépose des conclusions…, dit l’un,
- … je souhaite pouvoir y répondre, continue l’autre.
- Pour réplique, annonce le juge situé au centre.
Et tout ce petit monde retourne à sa place pendant que le greffier annonce une deuxième affaire. Là, pour être honnête, vous n’avez pas bien compris ce qui s’était passé… et malheureusement ça ne va pas s’arranger.
Les affaires défilent avec des avocats qui
ne disent pas plus de trois mots et un juge qui répond avec des phrases sibyllines
du genre : « Pour communication », « Pour conclusions », « Pour solution », « A l’audience de Monsieur Lerni ».
Mais de quoi parlent-ils ?!? Et puis,
pourquoi chaque dossier ne dure que quelques secondes sans que les avocats ne
plaident pas ? Plus vous voyez les affaires défiler, plus vous avez l’impression
d’être tombé dans un monde étrange avec des habitudes et des codes obscurs.
Après plus d’une heure, vous entendez
enfin le nom de votre société et vous vous levez rapidement, votre dossier
complet en main. Vous avancez vers les juges tout en réalisant que, sur votre
gauche, un avocat s’est également approché. Les deux juges qui, depuis le début
de la matinée n’ont presque jamais ouvert la bouche, semblent mourir d’ennui,
mais le Président vous regarde quant à lui avec bienveillance. Avec, un grand
sourire, il vous dit :
- Bonjour Monsieur, vous êtes le gérant de la société ?
- Oui !
- Vous avez un Kbis et une pièce d’identité ?
- … euh, oui, oui … attendez.
- Bonjour Monsieur, vous êtes le gérant de la société ?
- Oui !
- Vous avez un Kbis et une pièce d’identité ?
- … euh, oui, oui … attendez.
Heureusement que l’on vous avait prévenu ! Vous fouillez nerveusement dans votre dossier et tendez les documents demandés que le juge regarde brièvement avant de se tourner vers l’avocat :
- Maître ?
- Oui, Monsieur le Président, je viens d’être saisi et je n’ai pas les pièces de mon contradicteur !
- Très bien, alors … renvoi pour communication !
Normalement, ça ne devrait pas vous faire rire ... ou alors c'est que vous êtes juristes (je vous plains!) |
- Monsieur, il faut adresser à l’avocat adverse toutes les pièces que vous entendez produire.
- Mais, il les a déjà, je les ai envoyée à son client …
- Oui, mais il faut les communiquer à l’avocat, Monsieur, c’est la procédure… affaire suivante !
Vous comprenez qu’il serait vain d’insister,
alors vous rebroussez chemin d’un air penaud, ne comprenant pas très bien ce
qui vient de se passer. En revanche, ce qui est sûr, c’est que votre affaire
est loin d’être jugée !
*
* *
Ah les joies des audiences de mise en état devant
le Tribunal de commerce ! Je vous assure que je caricature à peine. Bon, comme
ce billet est déjà un peu long (je suis bavard, je sais), je ne vais pas vous
faire ici une explication de texte … ça fera l’objet d’un autre post … Et
puis si vous vous sentez frustré, sachez que c’est volontaire … J’entretiens le
suspense !
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